Je hais mon pays
celui de la Raison
depuis si longtemps, je manie les mots comme des poings ou des bistouris
j’en ai marre de disséquer et de frapper

j’aimerais vivre sur une terre avec une pièce assez simple. quatre murs. qui me feraient office de maison
je n’aime pas les meubles
j’y pendrai des fils, comme je le fais souvent
où les objets
pendouilleraient au travers de l’espace
peut-être dois-je dès à présent commencer à penser aux modes de préhension des objets sur les fils
et étudier un peu les tensions
sur les murs, il y aurait des clous qui retiendraient mes outils et mes trousses de tous ordres
au sol, un tapis et une couverture, que je roulerais pour faire disparaître les traces de mon repos
j’aime les espaces vides

et dehors, une table et une chaise, où je pourrais lire et dessiner, écrire et bricoler

sur cette terre des ami.e.s. avec leurs quatre murs à eulles.
et on verrait pour la cuisine et la douche
parce que je n’y ai pas encore pensé
ni à comment nous alimenter

*il est des lieux où ce dont on a besoin ne se trouve pas sur des étagères réfrigérées et éclairées au néon. à moréré, je me suis nourrie principalement de coco fraîche et de poissons qu’un local devenu ami pêchait le jour même, en deux minutes. il nous fallait quand même des oignons et des tomates. on les achetait. je pense que peut-être on arriverait à faire pousser des choses. je crois qu’il faut que j’apprenne à faire pousser des choses. il me semble avoir un rythme anti-vie.*

encore faudrait-il penser à l’électricité
pour la musique
et puis apprendre à faire du feu
des trucs cons

suspendu dans l’air du quotidien, ce refrain de vie sur les rails, sur les chemins de la raison
ce refrain où l’on ne se transborde pas, cette retenue, toujours.
vert. orange. rouge.
un oeil qui regarde avec fascination et répulsion, dégoût, rejet et envie cette vie à vampiriser, celle de la folie, de ce qui ne se contient pas, ce qui est tellement trop plein qu’il se désarticule et crie.
la rigueur est étrange.
cet attachement à l’oeil réprobateur et incorporé, ce même qui nous catégorise, nous classe, nous frappe, nous blesse, qui veut notre fin si nous ne lui sommes plus utile. cet oeil de la raison.

je ferme les yeux pour crier dans le noir.
je ferme les yeux pour danser jusqu’à avoir mal aux pieds

ne savez vous donc pas que ce « non non non » - figé au milieu d’une iris qui observe fixement- est violent ? est-il fait pour atteindre ? pourquoi ?

je ferme les yeux. il fait noir. mon ventre gargouille. mon clitoris pulse. mon vagin se détend et se ressert pas à-coups.
je ferme les yeux et de nouveau, un grouillement d’organes, bouillants et bouillonnants.


parfois, je me retrouve dans des situation de désespérance totale
j’aimerais être à équidistance (voyez que je garde les notions de géométrie basique) de deux montagnes. meugler jusqu’à m’en perforer les poumons. peut être moins meugler que gémir. hurler comme une chienne blessée.

la rétention de ce qui voudrait surgir et déborder est une torture quotidienne aux allures de condition nécessaire à la sociabilité.
en plus d’être sale, je suis folle.
et pour cela, je hais mon pays
celui de la raison.
cette vie ne me suffit pas.
en plus d’être sale, je suis folle.